Que vous ayez besoin de connaître une recette de cuisine, un programme à la salle de sport ou un code en langage informatique, l’intelligence artificielle pourra vous aider. La technologie ne date pas d’hier, mais il a fallu attendre les 10 dernières années pour la voir réaliser un bond de géant. Un élan technologique qui permet de nombreuses opportunités, mais pas sans risque. Surtout quand ces logiciels peuvent effectuer des tâches jusqu’alors confiées à des personnes. "Nous observons que les métiers répétitifs ne sont plus les seuls remplaçables aujourd’hui" souligne Roberto Mendolia, l'ALEBA. "Certains profils hautement qualifiés risquent désormais d’être menacés".
Jongler entre émerveillement et inquiétude
Ce constat, le patron de l’ALEBA n’est pas le seul à le faire. Selon une étude de Bloomberg Intelligence, 200 000 emplois risquent de passer à la trappe à moyen terme dans les grandes banques de Wall Street. "Il y a deux regards: l’émerveillement, car on découvre une technologie qui peut nous aider, et l’inquiétude, car elle risque d’avoir un coût social important". Cela rappelle l’arrivée d’une autre technologie, indispensable aujourd’hui. "On annonçait des vagues de licenciement massives avec l’arrivée des ordinateurs, et pourtant, cela a aussi amélioré la vie de tout le monde. Avec l’IA, c’est pareil: il faut l’utiliser à bon escient, mais aussi la contrôler". Réguler, mais surtout former. Là se trouve la véritable urgence pour le Président de l’ALEBA. "Apprendre au personnel l’intelligence artificielle est une nécessité absolue aujourd’hui puisque son développement est beaucoup plus rapide que notre capacité d’adaptation".
"Nous observons que les métiers répétitifs ne sont plus les seuls remplaçables aujourd’hui. Certains profils hautement qualifiés risquent désormais d’être menacés"
Roberto Mendolia, Président, ALEBA
Connaître les limites
L’intelligence artificielle subit encore quelques problèmes de jeunesse. Demandez-lui une biographie ou le récit d’un événement historique et vous aurez certainement sur votre écran un texte comportant truffé d’erreurs. "C’est pour cela que les métiers doivent évoluer vers le contrôle. Toute production générée doit être vérifiée, car elle n’est pas fiable à 100%", poursuit Roberto Mendolia. "Cela dit, il ne faut pas voir l’IA comme une menace, mais comme un outil. De nouveaux métiers apparaissent, et il faut saisir cette chance. Mais encore une fois, tout le monde doit être formé, car limiter l’usage de l’IA à une élite serait injuste et discriminant".
Une question avec un réel impact social se pose aussi dans un tel contexte. "L’inquiétude, c’est aussi le risque que des sociétés remplacent brutalement leurs employés sans accompagnement, comme par exemple tout récemment chez Docler Holding, qui s’est séparé de 75% de ses effectifs luxembourgeois et cite l’IA dans sa prise de décision... "
Défendre les travailleurs
L’objectif cher à l’ALEBA sur ces problématiques complexes consiste en la mise en place d’un cadre législatif sécurisant pour les employés. "Nous devons pousser les gouvernements à investir dans la formation et à promulguer des lois pour réglementer le développement de l’IA". Le syndicat se dit interpellé par l’écart entre les 2 millions d’euros alloués à "Skills-Plang", le projet de loi visant à limiter les pertes d’emploi liées à l’intelligence artificielle, et les 200 millions d’euros investis dans l’IA par le gouvernement entre 2014 et 2019.
"La régulation prend du temps, mais les conventions collectives permettent déjà d’agir. Concrètement, nous devons penser sur trois niveaux: les procédures internes dans les entreprises, les conventions collectives et la pression sur le gouvernement. Cette action coordonnée est indispensable pour éviter que l’application de l’IA ne parte dans tous les sens". En 2023, le syndicat a mené une action significative dans le secteur bancaire. "Nous avons introduit des textes visant à protéger les salariés des conséquences de l’IA sur la sécurité de leurs emplois".
Viser la neutralité
Cette révolution pose de nombreuses questions sur le plan éthique. "Le vrai problème de l’IA se situe dans son éthique. Une IA ne fait que reproduire les algorithmes créés par ses développeurs, avec leurs biais et leurs intentions. Tant que l’on ne garantit pas un cadre éthique universel, on prend le risque que la rentabilité et la course à la vitesse dominent, sans contrôle. Cela m’inquiète beaucoup, car les entreprises agissent chacune de leur côté, souvent sans foi ni loi". Une problématique qui pourrait, selon Roberto Mendolia, être solutionnée avec une collaboration internationale. "Pour éviter les dérives, il faut mettre en place des règles solides à l’échelle internationale et impliquer les meilleurs spécialistes de l’éthique. On doit aussi réfléchir au coût environnemental, car chaque requête consomme énormément d’énergie".
"Pour éviter les dérives, il faut mettre en place des règles solides à l’échelle internationale et impliquer les meilleurs spécialistes de l’éthique."
Roberto Mendolia, Président, ALEBA
L’ALEBA plaide aujourd’hui pour un débat large et inclusif autour des effets de l’intelligence artificielle sur l’emploi, l’évolution des compétences et l’accompagnement des travailleurs. Les ingénieurs et les acteurs du numérique ont évidemment un rôle majeur, mais ils ne peuvent être les seuls à décider. Les responsables politiques, la société civile et, surtout, les salariés doivent prendre part activement à la définition des règles qui encadreront le développement de l’IA.
Article initialement paru chez Paperjam.