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Dimitri Janczak, travailleur frontalier en situation de handicap nous offre un tour d’horizon sur la complexité de son statut. Son regard introspectif révèle des difficultés persistantes et sociétales, en nous invitant à une réflexion collective sur le statut de travailleur handicapé frontalier.
Le statut n’est pas le même des deux côtés de la frontière : il n’y a pas de reconnaissance automatique, cela nous impose une double démarche : doubles certificats médicaux, double commission administrative dans le cas du frontalier. Si on souhaite être reconnu travailleur handicapé au Luxembourg alors qu’on l’est déjà en France on ne peut pas faire officiellement la démarche auprès de l’ADEM si on n’a pas signé un contrat sur le sol Luxembourgeois : il faut avoir un contrat de travail et être déjà actif au Luxembourg. On est laissés dans le flou le plus total, il y a un gros retard sur le sujet.
Idem pour le taux d’invalidité, cela devrait être reconnu de manière immédiate. Il n’y a pas de raison que le handicap disparaisse ou s’amoindrisse en passant la frontière. Il faut un travail législatif sur la reconnaissance. Un accord bilatéral ou européen permettrait de couvrir une bonne partie des systèmes.
Officiellement le service des ressources humaines dispose de guidelines et se réfère à la charte de l’égalité, que certaines entreprises signent sans aller plus loin dans la réflexion, parfois on peut même parler de Handiwashing. Dans la réalité des choses, les protocoles diffèrent selon l’entreprise. C’est le chef de service qui gère les emplois du temps et l’organisation du travail. C’est donc lui qui approuve ou non la flexibilité des horaires et cela pose un problème car tout relève donc de son bon vouloir et de sa compréhension. C’est une question qu’on se pose toujours à l’arrivée d’un nouveau manager « à quel point est-il instruit sur le sujet ? ». La situation est aléatoire et dépendante de l’organisation interne du moment. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est plus simple et rassurant de candidater en externe car en interne on ne sait pas sur qui on peut tomber lorsque le management est réorganisé. La relation à la hiérarchie est toujours plus complexe pour un travailleur handicapé.
Lorsque le handicap est invisible c’est encore plus complexe : le diabète, la sclérose en plaques etc… demandent des pauses médicales et des crises à gérer rapidement mais invisibles le reste du temps. Moi qui ai un handicap visible et stable depuis la naissance je sais me gérer mais je me mets à la place d’un manager : comment peut-il comprendre et gérer sans avoir reçu de formation ? Il y a un souci de management qui n’est pas à la portée d’un PowerPoint, il faut de l’humanité et du vécu.
Au Luxembourg et pour les frontaliers, je pense au télétravail avec un nombre de jours illimités, pour organiser les soins médicaux. Si le salarié ne sait pas se gérer cela retombe sur les systèmes de chaque pays avec un salarié qui va se retrouver en arrêt, en situation de mal-être qui engendrera moins de cotisations, moins d’impôts... D’un point de vue purement économique tout le monde est perdant.
Il faut un cadre général étendu pour les personnes handicapées qui prendrait en compte des soins et des aménagements d’horaires pour les visites médicales. Dans 95% des entreprises c’est loin d’être acquis. Il n’y a pas de loi. Tout est laissé à discrétion du chef de service ou d’une jurisprudence. Quid des personnes qui sont nouvellement atteintes de handicap et qui ne savent pas comment le gérer ? Il faut du courage pour être légitimé et expliquer la situation à un RH ou un manager. On se retrouve toujours dans de la négociation, certains voient ça comme des avantages et comme une inégalité de traitement envers les employés.
Si je prends les exemples que je connais, peu d’entreprises jouent le jeu du reclassement interne ou externe. Pourtant la digitalisation des postes de travail fait qu’on a de plus en plus de moyens d’intégrer les personnes atteintes de handicap mais peu jouent le jeu. On trouve des excuses protocolaires.
Le handicap a une influence négative et un plafond de verre. Vous aurez une carrière hachée, de ce fait vous serez moins privilégiés pour évoluer hiérarchiquement au même titre qu’une femme et/ou une personne de couleur. La carrière est pénalisée. Cela dépend des secteurs et de la gravité du handicap. De nos jours, les personnes lourdement handicapées vivent de plus en plus longtemps et sont mieux scolarisées, une moindre alphabétisation qui nous excluait du monde de l’emploi.
La loi luxembourgeoise empêche les entreprises privées d’aménager leurs locaux, l’entreprise n’est pas pas obligée, ce qui nous conduit à des inepties comme des portes tournantes comme on retrouve souvent au Kirchberg. Les entreprises présentes dans des bâtiments neufs sont inexploitables. C’est une forme de discrimination car indirectement on nous empêche d’intégrer le bâtiment. Concernant les transports comme chacun sait ils sont surchargés et il n’y a aucune coordination transfrontalière.
A ma connaissance il n’y a pas de formations de cadres adaptées pour les travailleurs handicapés (à part celles de l’ADEM pour le reclassement) mais sinon le reste n’est pas traité de manière différente, je ne suis même pas sûre qu’il y en ai des spécifiques pour les RH. Pour les formations incendies la réponse officielle est de mettre la personne handicapée dans le coin susceptible de brûler le dernier, fuir et appeler les pompiers. Soit vous êtes capables de fuir soit vous risquez votre vie. Ce n’est pas purement une décision de l’employeur, mais un problème sociétal. Il vaut mieux être dans un bureau plain-pied.
Il faut naturellement un certificat médical d’aptitude au travail une fois l’emploi décroché, son absence est un critère de résiliation et pourtant on l’obtient souvent des mois après avoir intégré l’entreprise ! Vous serez alors dans une zone grise : pas handicapé, mais pas apte au travail.
Concernant l’intégration il n’y a pas de discussion spécifique surtout quand votre emploi est purement informatique car on compte sur vos capacités intellectuelles. Au sujet l’aménagement du poste de travail j’ai une anecdote amusante et assez révélatrice : j’avais besoin d’une souris pour gaucher est cela a été considéré comme une demande extraordinaire...car les stocks étaient uniquement composés de souris ergonomiques pour droitiers !
Ce sont les mêmes problèmes qui persistent depuis des années !
L’ALEBA est consciente de la complexité des défis rencontrés au quotidien pour les frontaliers et les salariés handicapés. Ce récit, bien qu'incomplet, offre un aperçu authentique des obstacles persistants pour le travailleur en situation de handicap, et a pour but de jeter les bases d’une discussion approfondie sur les moyens de favoriser une inclusion réelle et durable.
Faites valoir vos droits, pour des conditions de travail adaptées et équitables !
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